Au sommet des Ameriques (13)

 

Aconcagua, le plus haut sommet des Amériques (6962 mètres)

Expédition réalisée en bonne compagnie, entre janvier et février 2000.

Journal de bord, en 14 épisodes.

 

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Jour 13 : au sommet

Ça y est, nous l’avons gravi ce tas de caillou! Il était un peu plus de 13h. Je craignais de souffrir et j’ai souffert. Je pensais mal supporter l’altitude, avoir beaucoup de peine à respirer, ressentir la fatigue mais ce sont mes orteils, gelés du début à la fin, et mon mollet, affaiblit par une tendinite doublée d’une déchirure musculaire, qui ont pesé sur mon moral.

Techniquement, l’Aconcagua n’a rien de difficile, mais le sommet n’est pas donné pour autant. Partis à 5 heures du matin, nous sommes d’abord montés vers les refuges de Berlin, accompagnés de 5 ou 6 cordées. A partir de là, le souffle se fait plus court, les épaules tombent, comme si à chaque centaine de mètres une main invisible rajoutait quelques kilos dans nos sacs. Un peu plus bas sur la gauche, trois silhouettes se dégagent du glacier des Polonais. Elles quittent ainsi la voie du même nom pour rejoindre la voie normale, moins exigeante. Encore une montée et nous voilà au refuge "Independencia", qui paraît-il est le plus haut du monde, un effort encore et nous atteignons la "Travesia", un long faux plat qui débouche sur la tant redoutée "Canaleta". Le vent, qui jusqu’ici n’a jamais cessé de souffler, redouble d’intensité. Il nous fait face aussi, atténuant du même coup le plaisir de retrouver du plat.

La "Canaleta", 500 m de dénivelé dans un pierrier instable. Un pied en avant, un pied en arrière. Sans cesse, il faut chercher des appuis stables et c’est toujours lorsque l’on s’y attend le moins que le pied part en glissade. Retrouver son équilibre, reprendre son souffle, ne pas se laisser submerger par l’énervement, lutter, ne pas lever la tête en directrion du sommet, serrer les dents, tels sont les mots d’ordre que la "Canaleta" nous impose. Soudain, derrière moi, des cris d’encouragement plus soutenus attirent mon attention J’ai à peine le temps de me retourner que passent devant moi trois extraterrestres. Il est 11h06. Les trois Italiens qui sont partis de l’hôtel il y a 3h 06 me dépassent… Incroyable! De notre côté, il nous a fallu 6 h pour parvenir jusqu’ici, sans compter les 4 h d’hier, soit trois fois plus de temps qu’eux. Je les regarde passer comme une vache s’extasie devant un train. Une demi heure de plus et des cris fusent du sommet: le record d’ascension de l’Aconcagua est pulvérisé.

Dans le même temps, j’ai à peine parcouru 100 mètres, une tendinite me presse le mollet, je ne bouge plus mes orteils dans mes chaussures depuis longtemps, le doute s’installe. Cent fois je décide d’abandonner, de sauver mes orteils, cent fois je repars, bien soutenu par Tony. Lui aussi souffre. Tout le monde souffre, s’arrête, souffle, repars. Cette fois, j’arrête! Je suis à 20 mètres du sommet, sur l’arête du "Filo del Guanaco". Trop de questions, trop de soucis me prennent la tête. Je demande à Tony de me prendre en photo. Une fois encore il m’encourage à reprendre le chemin du sommet. Ma réponse: "mais tu ne comprends pas qu’ils vont devoir me couper les pieds!" le glacera d’effroi. Il n’insistera plus et je comprends dans son regard que j’ai dit quelque chose de terrible. "Ok mon pote, attends-moi là, je reviens tout de suite", me glisse-t-il encore avant de rejoindre Pierre-Yves qui vient d’atteindre le sommet et qui nous fait de grands signes.

Je m’assied sur la crête du monde, mon regard se perd dans le vide qui mène à "Plaza Francia". Mes pieds me ramènent à la réalité, je retire une chaussure mais je n’ose pas enlever ma chaussette de peur de constater les dégâts. Je masse mes orteils avec la désagréable impression de toucher un corps qui ne m’appartient pas. Deux alpinistes redescendent du sommet, ils m’encouragent à poursuivre. Mais j’en ai rien à cirer de ces 20 mètres, je préfère me concentrer sur mes pieds. Un instant je me dis que 20 mètres c’est pas grand chose. Au moment où je me décide d’y aller, je constate avec stupeur que je ne peux plus enfiler ma chaussure. Je force, je touche brusquement le fond du soulier, je crie et c’en est fini de mes intentions de fouler le sommet. Pourtant Tony me fait signe de venir. Je ne lui réponds même pas et je descends, péniblement, mais ce qui compte c’est de perdre de l’altitude.

Au bas de la "Canaleta" je m’assieds et j’attends le retour des copains. Il fait bon, le soleil tape, et dans ma lutte pour ne pas dormir, je contemple la souffrance de ceux qui sont encore en train de monter. Iront-ils jusqu’au bout, où abandonneront-ils, avant ou après moi? Pierre-Yves et Tony arrivent enfin, nous nous tombons dans les bras. Aucun d’entre-nous n’a jamais été aussi fatigué.

La descente me côute trop, je décide de prendre le grand pierrier (gran acarreo) qui plonge directement sur "Nido". En montant, j’ai repéré de belles portions de neige, sur lesquelles je pourrai glisser, et une pente de cailloux juste assez petits pour me laisser aller. Tony a les orteils trop abîmés pour tenter la descente, Pierre-Yves n’a aucune envie de changer d’itinéraire, si bien que je me retrouve seul dans mon entreprise. Tony me file sa radio au cas où le mauvais temps se lèverait, et me voilà parti, sur les fesses, dans une glissade contrôlée par mes bâtons. Ensuite, exactement comme j’avais pensé, je me laisse aller sur un lit de cailloux. Je m’arrête souvent pour reprendre mon souffle, pour admirer le paysage et je m’étonne de ne rencontrer personne sur ce chemin bien plus direct et plus agréable que celui de la voie normale.

Stéphane, qui est monté à Nido nous attendre, filme mon arrivée de grand vainqueur. Je boîte, j’avance péniblement… mais je suis surpris d’arriver avant les copains. Les retrouvailles sont émouvantes, chacun y va de son commentaire sur la façon dont il a vécu cette aventure. Je suis trop fatigué pour continuer la descente vers le camp de base, Tony aussi, si bien que nous décidons de passer la nuit à Nido. Les deux frangins eux, rejoindront aujourd’hui même Plaza de Mulas.

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