Jour 11 : première tentative
Cette nuit en
altitude n’a pas été différente de celle d’il y a deux jours :
j’ai eu autant de peine à trouver le sommeil. A 5 heures du matin,
nous avons quitté notre nid douillet pour tenter le sommet. Nuit de
nouvelle lune égale nuit d’encre. Difficile de trouver son chemin,
mais quel ciel !
Comme Tony et moi sommes souvent prêts avant les autres, nous prenons un
peu d’avance, ce qui agace Pierre-Yves. Et c’est vrai que
c’est agaçant de devoir suivre une trace invisible dans la nuit pour
tenter de rejoindre ceux qui sont partis avant, mais je ne peux pas
m’arrêter tellement j’ai froid aux pieds. Alors plutôt
que de m’arrêter, je ralentis la cadence. A chaque pas, je dois
bouger mes orteils à l’intérieur de mes chaussures. Pierre-Yves et
Stéphane nous rejoignent enfin. Stéphane souffre de nausées, il a
terriblement mal à la tête aussi (deux symptômes du MAM, le mal des
montagnes) et il décide donc logiquement d’abandonner. Nous
poursuivons notre montée, le jour se lève avec le vent qui commence à rassembler
un gros nuage lenticulaire autour du sommet. Berlin : 5900 mètres,
sur l’un des trois abris en bois surpeuplés de ce haut lieu du
bivouac, un thermomètre indique –20°. La poursuite de
l’aventure devient hasardeuse. Sur la gauche, le soleil touche déjà
les rochers qui surplombent le camp. Je décide de m’y rendre et je
manque de me faire emporter par le vent, une fois parvenu sur
l’arête. Mes pieds m’inquiètent de plus en plus et je décide de
rejoindre Stéphane à Nido. Pierre-Yves et Tony monterons encore de 100 mètres avant
d’abandonner à leur tour.
Dans la descente, je suis encore une fois victime d’hallucinations.
J’entends comme un bruit de radio, pourtant, il n’y a personne
aux alentours. Encore, car cette nuit, j’avais une petite lumière
devant les yeux, comme si une lampe de poche m’éclairait le visage,
alors que j’avais les yeux fermés. Bizarre, bizarre, j’en ai
déduit que c’était ma bonne étoile. Dans la descente aussi,
j’aperçois quelque chose d’étrange. Planqué entre deux rochers,
un bonhomme me regarde fixement, sans bouger. Je m’approche et je lui
demande si ça va. Il me répond : « ok, ok, il fait plutôt froid hein ? » Je
suis d’accord, je lui demande s’il attend quelqu’un et il
me répond : « Non, non, je me suis perdu dans la montée, mais là c’est
bon, je vais redescendre.» Comme je continue, il m’emboîte le pas.
Au camp, Stéphane est au chaud dans sa tente, il a toujours mal à la tête
et envisage de redescendre au camp de base. Je passe un moment avec lui. A
l’exception des petits doigts, mes orteils sont bleus, durs et
froids. Je les enveloppe dans une bonne paire de chaussette et les fourre
dans mon duvet. Je somnole quand Pierre-Yves et Tony arrivent. Tony est
stressé, il a aussi mal à la tête et veut à tout prix redescendre. Il
descendra avec Stephane d’ailleurs. Pierre-Yves hésite, il a comme
moi peur de manquer un créneau météo et une bonne occasion de tenter à
nouveau le sommet demain. Nous restons… le temps d’une sieste,
car le vent redouble de violence et les nuages n’annoncent rien de bon.
Et nous descendons!
A Nido, Daniel, un guide local, nous conforte dans notre décision.
L’île de Paques a subi une grosse tempête ces derniers jours et la
perturbation arrive maintenant sur nous. Notre moral et notre envie
s’effritent un peu. Ce soir, nous partagerons notre risotto à des
Catalans qui nous partageront leur cassoulet.
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